Ali Chenouna, consultant en expertises financières au sein de la société ESC, nous parle ici des difficultés rencontrées avec l’utilisation d’Excel en entreprise, et notamment par les équipes du contrôle de gestion d’un grand groupe qu’il a accompagné.
Interview – Ali Chenouna, consultant Contrôle de gestion – Pourquoi dépasser Excel ?
» J’ai anciennement été Responsable contrôle de gestion et Responsable financier dans des PME et des grands groupes, en France et à l’international, dans des secteurs divers. J’ai créé ESC il y a 2 ans pour accompagner les entreprises dans le pilotage et l’amélioration de leur performance.
L’organisation dont je vais vous parler est un grand groupe international de transports, avec une centaine de filiales, dont certaines à l’international. Le contrôle de gestion comprend 3 personnes au niveau de la holding et 1 personne en alternance sous la responsabilité de la Responsable Administrative et Financière de la holding.
Quelles problématiques l’équipe rencontre-t-elle dans leur utilisation d’Excel ?
L’équipe fonctionne énormément avec Excel. Elle rencontre un certain nombre de problématiques avec Excel, notamment une lourdeur dans le traitement des fichiers. En effet, elle travaille sur un nombre important de fichiers au vu du nombre de directions. Pour l’élaboration budgétaire, cela nécessite de travailler plus d’une vingtaine de fichiers à envoyer, puis à recevoir, à vérifier et à modifier (modification de versions, changement de périmètres…). C’est donc un travail très lourd.
Quand on passe d’Excel à une présentation, on reprend les informations d’Excel pour les synthétiser puis les remettre sur powerpoint. Les contrôleurs de gestion passent énormément de temps à manipuler du fichier Excel.
En période de clôture mensuelle, le contrôle de gestion est sous pression. Il doit sortir et produire énormément de tableaux et de chiffres, très rapidement. Certains sujets sont donc mis de côté pour pouvoir adresser les sujets principaux.
Quels sont les risques et le ressenti des équipes ?
La seule utilisation d’Excel dans l’entreprise implique un risque d’erreurs dans les fichiers, de fiabilité de l’information, et quelque part de crédibilité du service contrôle de gestion. D’autre part, le doute sur la fiabilité des chiffres impacte les discussions qu’il peut y avoir avec les directions opérationnelles ou la direction générale. Comme il n’y a pas consensus, les décisions se prennent donc avec difficulté.
Les équipes du contrôle de gestion ressentent la lourdeur des traitements. Elles ressentent également une forme de ras-le-bol quand il s’agit de traiter une vingtaine ou trentaine de fichiers, surtout quand il est demandé de modifier un périmètre, une année de comparaison, de rajouter une colonne… Ce travail sur Excel pèse sur le moral des troupes.
Quels sont les impacts de l’utilisation d’excel en entreprise ?
Un des impacts de l’utilisation d’Excel concerne une difficulté à évaluer le coût de production de l’information. Elle est, selon moi, souvent sous-estimée vu le temps que les contrôleurs de gestion passent à produire les chiffres. Il serait utile de mesurer le temps que l’on y passe concrètement.
De plus, comme on est sur du traitement manuel et qu’il faut attendre que tous les traitements soient réalisés, il faut du temps avant que l’on puisse avoir des chiffres fiables, qui ne laissent aucun doute. Comme malheureusement il y a toujours un doute, on a du mal à obtenir un consensus au sein de l’organisation pour prendre les décisions.
Prenons l’exemple du cockpit d’un avion avec un pilote et un copilote, le copilote étant le contrôleur de gestion. Il faudrait imaginer que ce contrôleur de gestion, au lieu d’être à côté du pilote, serait quelque part dans les locaux techniques, en train de produire les indicateurs ensuite visualisés sur le tableau de bord. Alors que son rôle à lui, est plutôt d’analyser, d’interpréter tous ces indicateurs. Il doit pouvoir fournir une information qui soit digérée et synthétique au pilote pour qu’il puisse prendre des décisions.
Comment se positionne le management ?
Le management souffre de ce doute sur la fiabilité de l’information. Il a donc du mal à prendre des décisions. Il a, par moment, un besoin d’analyse plus profond, plus détaillé, plus consolidé.
Je vous donne l’exemple concret de la direction financière qui se posait la question de recruter un contrôleur de gestion. La décision a été suspendue. En effet, on ne disposait pas d’une visibilité des coûts de la direction financière sur l’ensemble du périmètre du groupe.
Comment dépasser Excel ?
Un outil qui dépasse Excel permet :
- sur le volet de production de l’information : de fiabiliser, de simplifier, de sécuriser, d’automatiser.
- sur le volet utilisation : de ne pas faire intervenir les contrôleurs de gestion dans ce processus production, ou en tous cas, qu’ils y passent moins de temps pour passer plus de temps sur l’analyse. Prenons un exemple concret : la modification d’un périmètre de comparaison suite au covid. Beaucoup de directions financières ont dû modifier tous leurs fichiers excel pour pouvoir comparer, non pas par rapport à l’année 2020 et 2021, mais à l’année 2019, année de référence plus pertinente au vu de la situation. Ils ont dû changer tous les fichiers Excel.
Un outil de type BI ou EPM permettrait d’aller beaucoup plus vite dans ce type d’analyses, sans avoir à retravailler énormément de fichiers.
Excel reste-il utile aux organisations ?
Excel reste essentiel pour des besoins simples. La bureautique restera dans les organisations. D’ailleurs, il y a énormément d’outils de type BI et EPM qui sont de l’Excel hyper-amélioré, avec du traitement de base de données.
Il ne faut pas le jeter. Il peut être encore utile pour des besoins simples, avec un volume de données assez faible. Cependant, lorsque l’on a un volume de données important, une complexité d’organisation, des besoins de prévisions, de reprévisions, de simulations qui sont importants, il faut pouvoir aller au-delà d’Excel.
Pourquoi l’utilisation d’Excel en entreprise est toujours privilégiée, même dans des grands groupes ou grandes entreprises ?
C’est une excellente question. Tout d’abord, parce que cela nécessite un effort de passer du tout Excel à un outil BI et EPM. C’est un effort de cheminement, l’organisation doit prendre cette décision. Les directions financières sont de plus en plus prêtes à monter au créneau pour défendre cette idée, notamment pour mettre en avant le retour sur investissement.
Deuxième élément : cela implique de réfléchir à son modèle économique, les indicateurs clés que l’on souhaite voir et comment on souhaite les voir. Cela nécessite un travail de réflexion sur la structure. Mais également sur ce que l’on veut faire à long terme dans l’organisation.
Troisième élément : cela nécessite d’avoir, au sein des entreprises, des personnes qui soient prêtes à porter le projet. Heureusement, il y a de plus en plus de profils de contrôleurs de gestion à la fois « métier » et chef de projet. J’en fait partie. A chaque fois que j’interviens sur une mission, j’essaye de transmettre cette approche aux contrôleurs de gestion de l’organisation. «